Le jour se lève, flamboyant, en ce début d'année...
Mais malgré l'annulation, par le conseil d'état, des autorisations données par le ministère de l'agriculture, pour l'utilisation du cruiser, en 2010, la semence de maïs, enrobée de thiaméthoxam, molécule active du cruiser, sera encore semée dans les champs français, alors qu'en Italie et en Allemagne, il est interdit depuis 3 ans...
TERRE 17/02/2011 À 00H00 Article paru dans Libération
Même interdit, l’insecticide Cruiser a le champ libre
Agriculture . Le Conseil d’Etat est revenu sur les autorisations de mise sur le marché délivrées en 2008 et 2009, mais pas sur celles de 2010 et 2011.
A la veille du Salon de l’agriculture, la nouvelle est du plus mauvais effet : le Conseil d’Etat a annulé hier les autorisations de mise sur le marché (AMM) délivrées en 2008 et 2009 par le ministère de l’Agriculture pour le Cruiser. Cet insecticide, fabriqué par le groupe suisse Syngenta, appartient à cette génération de produits phytosanitaires qu’on n’a plus besoin de pulvériser car ils enrobent la semence de maïs. Des insecticides accusés de contribuer à la surmortalité des abeilles. Le Cruiser est d’ailleurs le successeur des Gaucho et Regent, dont l' UNION NATIONALE DE L'APICULTURE FRANCAISE a obtenu l’interdiction.
«Pertinence». Selon le Conseil d’Etat, «la méthode d’évaluation du risque utilisée par l’Afssa [Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire, ndlr] n’a pas été conforme à la réglementation européenne», découlant de la directive 91-144. «L’Afssa a refusé d’appliquer la méthode préconisée, dont elle a nié la pertinence, précise Me Bernard Fau, avocat de l’Unaf, comme elle l’avait déjà fait pour le Gaucho et le Regent.»
La méthode imposée par la réglementation européenne nécessite une longue période d’évaluation, portant sur les effets à court et à long termes. Elle exige de mettre en évidence «concrètement» l’absence d’«effets inacceptables». «C’est une méthode plus contraignante, souligne l’avocat,adaptée à ces produits très toxiques pour l’environnement.»Le Conseil d’Etat déplorait hier que l’Afssa n’ait conclu à l’absence d’impact du Cruiser «que sur le court terme, faute de données disponibles sur les effets à long terme».
Pour Me Fau, l’avis rendu par la plus haute juridiction française est une preuve de plus de «la violation délibérée des règles d’évaluation». En effet, rappelle-t-il, le Conseil d’Etat, déjà interpellé par l’Unaf pour le Gaucho et le Regent, a mis en cause la méthodologie de l’Afssa dès 2004. «Sept ans après, le ministère continue de s’affranchir des règles d’évaluation !»s’indigne l’avocat.
Le président de l’Unaf, Henri Clément, jugeait hier «la victoire amère». Le Cruiser va en effet continuer à être utilisé. Le Conseil d’Etat, saisi également par les apiculteurs sur l’autorisation de mise sur le marché délivrée pour l’insecticide en 2010 (renouvelée par Bruno Lemaire en décembre pour 2011), n’a pas statué hier sur celle-ci. Confronté à un artifice juridique souvent utilisé par les fabricants de pesticides pour prolonger l’utilisation de leurs produits, il a choisi de poursuivre l’instruction. Syngenta a changé le nom de son insecticide, rebaptisé Cruiser 350 depuis 2009. «Seul le nom change, souligne Me Fau. La molécule active est toujours le thiaméthoxam.»Pour Syngenta, interrogé hier par Libération, il s’agit au contraire d’un«nouveau dossier», d’une nouvelle procédure d’homologation.
Indépendance. Le Conseil d’Etat a annoncé qu’il se prononcerait plus tard.«Trop tard, le produit sera dans nos champs et les abeilles pourront continuer à mourir», déplore Henri Clément, qui souligne que le Cruiser est interdit en Allemagne et en Italie depuis trois ans. Pour les apiculteurs, ce dossier soulève, comme celui du Mediator, la question de l’indépendance de l’expertise.
Eliane Patriarca
*En chinois.